Question : À ton avis, quels sont les enjeux éthiques les plus pressants ou complexes sur le plan organisationnel et sociétal, lorsqu’on parle de proche aidance ?
Il y a plusieurs autres enjeux, mais j’aimerais en nommer trois.
D’abord, selon la Loi visant à reconnaître et à soutenir les personnes proches aidantes, le soutien apporté par une personne proche aidante se ferait de manière libre, éclairé et révocable. Mais, en réalité, ces conditions sont difficiles à satisfaire. Dans quelle mesure une personne peut-elle véritablement choisir de devenir personne proche aidante lorsqu’elle subit des pressions familiales ou sociales, par exemple ? Ou lorsqu’elle agit en fonction d’un sentiment d’obligation (par amour, loyauté, devoir ou autre) ? Puis, est-ce qu’elle peut retirer ou réduire son aide dans un contexte où il y a une pénurie de services ou lorsque personne dans son entourage n’est en mesure de prendre la relève ?
Le deuxième enjeu concerne la reconnaissance du rôle de personne proche aidante. La reconnaissance permet notamment d’identifier la personne proche aidante, de reconnaître et valoriser son rôle, de l’aider à prendre conscience de ses responsabilités et des répercussions possibles sur sa vie, ainsi que de son droit d’accéder à des services et mesures de soutien. Cependant, certaines personnes refusent de s’identifier comme telles pour protéger la dignité de la personne aidée (pour éviter la stigmatisation dans le cas d’incapacités liées à la santé mentale, par exemple). D’autres personnes tardent à se reconnaître parce qu’elles considèrent que leur rôle est “naturel” ou “attendu” vis-à-vis une personne avec qui elles ont un lien affectif ou une obligation légale (comme un enfant ou un·e conjoint·e). Dans ces cas, il est important que les professionnel·le·s et les intervenant·e·s respectent la décision des personnes à ne pas s’identifier comme personnes proches aidantes, tout en les aidant à prendre conscience des responsabilités qu’elles portent et de leurs besoins.
Enfin, il y a un enjeu d’équité entre les personnes proches aidantes, notamment dans l’accès aux services et à l’information. Ces inégalités sont accentuées par plusieurs facteurs : le genre, le statut socio-économique (privilège de recourir au privé quand on a plus de moyens), le milieu de vie (les services étant plus accessibles en milieu urbain qu’en milieu rural), l’appartenance culturelle, la langue, et le statut minoritaire (personnes autochtones, 2SLGBTQIA+).
Question : Si tu avais à résumer les 2 ou 3 pistes de réflexion ou perspectives les plus saillantes ressorties durant la troisième journée, que seraient-elles ?
Plusieurs perspectives intéressantes ont émergé durant cette troisième journée, mais deux d’entre elles se sont révélées particulièrement porteuses selon moi.
La première, c’est la nécessité de faire preuve d’adaptation et de flexibilité dans le soutien offert aux personnes proches aidantes. Il s’agit pour les professionnel·le·s et intervenant·e·s de reconnaître leur rôle et les responsabilités qu’elles portent, d’offrir aux personnes proches aidantes des services adaptés à leurs réalités et besoins, tout en favorisant la création de véritables partenariats avec elles. Ces partenariats doivent reposer sur une collaboration réelle, où chaque partie contribue à faciliter l’accès à l’information et au soutien.
La deuxième, pour répondre aux différents enjeux éthiques, une approche systémique s’impose. Cela signifie d’agir à la fois sur plusieurs niveaux : les services de santé et de services sociaux, les facteurs sociaux qui influencent l’expérience des personnes proches aidantes (milieux de travail, par exemple) et la mobilisation de l’ensemble des actrices et acteurs concernés par la proche aidance.
Question : Selon toi, comment peut-on mieux soutenir les personnes proches aidantes sur le plan organisationnel et sociétal en tenant compte des enjeux éthiques auxquels ils font face ?
Premièrement, il faut aller au-delà de la reconnaissance symbolique et mettre en place des mesures de soutien concrètes comme l’accès à du répit, à une compensation financière ou encore à un accompagnement psychologique. Ces formes de soutien permettent de reconnaître le rôle essentiel des personnes proches aidantes et de mieux répondre à leurs besoins.
Deuxièmement, il est essentiel de reconnaître et de valoriser l’expertise spécifique des personnes proches aidantes auprès de la personne aidée. Cela signifie de les intégrer dans les décisions qui concernent les soins apportés à la personne aidée, ainsi que dans les décisions organisationnelles, comme le développement de services, par exemple. Dans le même esprit, il est important de respecter leur autonomie et leur capacité à consentir à leur engagement. Cela peut se traduire, par exemple, par la mise en place de bilans réguliers pour faire le point sur leur implication et s’assurer qu’elle continue de faire sens pour elles, dans le respect de leurs capacités. Dans cette optique, l’accès à une information fiable et objective est fondamental, car elle permet aux personnes proches aidantes de prendre des décisions éclairées, en toute connaissance de cause.
Troisièmement, sur le plan des services, il devient essentiel de travailler à une meilleure fluidité des parcours de soins. Cela suppose le développement de services de transition coordonnés (par exemple, lors du passage de la jeunesse à l’âge adulte ou du curatif au palliatif), ainsi que la mise en place de trajectoires intégrées de proche aidance pour éviter les ruptures ou les interventions fragmentées.
Enfin, il ne faut pas oublier les professionnel·le·s et les intervenant·e·s. Elles et ils sont souvent pris·es entre le respect des besoins de la personne aidée et le bien-être de la personne proche aidante, surtout quand les intérêts semblent divergents. Les former à la collaboration éthique avec les personnes proches aidantes est essentiel : les sensibiliser à l’écoute, à la reconnaissance des limites de chacun·e, et à la diversité culturelle. Il est également important de leur fournir des balises claires, notamment sur les caractéristiques des personnes proches aidantes, la manière d’évaluer leurs besoins, de les orienter, ainsi que de les soutenir. Des lignes directrices plus précises permettraient de réduire les zones grises génératrices de tensions éthiques dans leur pratique.
Envie d’aller plus loin ? Consultez :
- Le Répertoire des connaissances en proche aidance
- Le dossier Web Reconnaissance en proche aidance
- Le dossier Web Trajectoires de proche aidance